Introduction
Le fait de légiférer sur la laïcité soulève bien des émotions, ce qui trouble parfois le jugement et la raison. Je propose quelques réflexions qui serviront, je l’espère, à mettre un peu de logique et de raison dans ce débat. Je divise ces commentaires comme suit:
-la restriction du port de signes religieux pour les enseignants
-est-ce que la liberté de religion peut être restreinte?
-les dérapages
-Bouchard et Taylor
-est-ce que la loi 21 va régler le problème?
La restriction du port de signes religieux pour les enseignants
C’est la mesure la plus controversée du projet de loi. Elle me paraît raisonnable. L’enseignante ou enseignant exerce une autorité considérable. Cette autorité est non seulement coercitive (il faut maintenir la discipline dans la classe), mais aussi intellectuelle et morale. L’enseignant ou enseignante peut être un modèle important pour les élèves. Tout cela milite pour de la retenue en matière de promotion d’une religion dans une école publique.
Or le port d’un signe religieux fait la promotion de la religion en question et même d’une façon de vivre cette religion. Ce serait de l’aveuglement de prétendre le contraire. Cette promotion est équivalente à celle d’un macaron de parti politique. Pas besoin de dire un mot, le message passe. Et il passe chaque seconde, de chaque minute, de chaque heure, de chaque jour de classe. À des enfants. De la part de la personne qui est en autorité devant eux ou elles.
La restriction ne s’applique que dans le contexte de l’exercice de cette autorité. Le temps passé en classe représente pour l’enseignante 20% des heures de la semaine. Pour le reste l’exercice de la religion n’est aucunement entravé et on peut s’y consacrer dans tous ses aspects, principaux ou secondaires. La restriction est donc justifiée et limitée.
Est-ce que la liberté de religion peut être restreinte?
Le conseil municipal de la ville de Montréal s’oppose au projet de loi sur la laïcité. Le conseil de ville de Toronto, pour sa part, a adopté une résolution où elle appuie la ville de Montréal dans son opposition et « réaffirme son soutien à la liberté de religion et d’expression » et s’oppose à tout projet de loi « qui restreindrait ou interdirait de telles libertés ».
Passons sur l’interdiction, mot qui reflète probablement un débordement d’émotion, mais l’opposition à toute restriction ne tient pas la route.
Tous les droits fondamentaux dans la charte canadienne et dans la charte québécoise des droits sont expressément sujets à des restrictions raisonnables. La liberté de religion n’est pas exclue.
Quand un tribunal a ordonné au maire Tremblay de la ville de Saguenay de cessé de dire sa prière à l’ouverture des séances du conseil municipal, à l’encontre de ses convictions profondes et de l’appui de sa population, je ne me souviens pas que le conseil de ville de Toronto ait rappelé son opposition à toute restriction du droit du maire Tremblay d’exercer sa liberté de religion.
Alors pourquoi avoir recours à la clause dérogatoire? La clause est là, elle a souvent servi et il n’est pas illégitime de s’en servir dans un cas comme ici. Les opinions quant à ce qui est ou non une restriction raisonnable peuvent varier. Plutôt que d’attendre que les recours juridiques soient menés à terme, que l’on en finisse avec un jeu de ping-pong qui pourrait s’ensuivre entre les tribunaux et l’Assemblée nationale, que l’on se déchire la chemise de part et d’autre entretemps je trouve sain que l’on utilise la clause dérogatoire.
Dans quelques années on peut espérer que les émotions se seront calmées, comme c’est maintenant le cas avec la loi 101.